Dans sa recherche de jeux de rôles intéressants, parlons aujourd’hui d’une gamme existant depuis quelques temps, nous venant de l’éditeur les XII singes. Petit Focus sur Trinités.
Les rôlistes suffisamment anciens peuvent assez clairement noter deux périodes distinctes dans l’existence des jeux de rôles. Il y a longtemps, il était composé d’au moins un gros livre de règle – souvent plusieurs – aux règles complexes. Même si l’univers présenté était intense et favorisait l’ambiance, difficile d’imaginer un ouvrage de moins de trois-cent pages. Donjons et Dragons est bien sur l’exemple le plus connu – trois tomes de règle, plus au moins un livre pour l’univers – mais l’Appel de Cthulhu, la première édition du Seigneur des Anneaux (JRTM) – découlant d’un des système les plus complexe jamais créé, Rolemaster – ou même les ouvrages du Monde des Ténèbres ou 7th Sea, étaient construits de cette manière.
Si les jeux venant de cette époque continuent sans soucis d’exister, du moins pour la plupart (Donjons et Dragons prépare une cinquième édition, après une quatrième peu appréciée, l’Appel de Cthulhu continue son chemin avec brio), les jeux de rôles récents apparaissent sous une autre forme. Des règles souvent simples, des ouvrages assez petits et, fréquemment, des jeux dont un ouvrage se suffit à lui-même. Oui, les éditeurs s’adaptent au marché, les joueurs ne recherchant plus forcément la même chose, n’ayant plus les mêmes moyens.
Trinités, de son côté, se situe un peu à mi-chemin des deux. L’ouvrage de base est assez petit, ressemblant à un gros fascicule, mais les XII singes proposent une gamme fournie, dynamique, vivante, avec de fréquentes sorties. Certaines sont payantes, avec de nouveaux livres venant enrichir la gamme et l’univers, et d’autres – et nous pouvons féliciter les auteurs de cela – sont gratuites. Evolution du background, textes d’aides pour joueurs et maîtres de jeux, scénarios – et tout cela à télécharger sur le site des éditeurs. Une excellente initiative !
Cependant, en prenant l’ouvrage de base de Trinités en main, le lecteur ne peut s’empêcher de se demander comment il est possible de faire tenir un univers complexe, un scénario et un système de jeu en si peu de pages. En effet, le monde dans lequel Trinités plonge ses joueurs est du genre intéressant, mais nécessitant d’être détaillé, et qui pourrait se comparer à Nephilim par certains côtés, en particulier les vies antérieures. Trinités s’inspire de la cosmologie et des religions pour créer un univers où des dieux, les Elohims, ont laissé le monde se débrouiller seul en un duel étrange et secret qui devra décider si l’univers va basculer dans la lumière ou dans les ténèbres. Pour se faire, il existe des créatures, les Adam (ce que sont les joueurs). Les Adam sont des humains qui, sans le savoir, sont épaulés par un Archonte – un esprit des ténèbres – et un Deva – un esprit de lumière. Les deux sont là pour essayer de conseiller l’Adam et, au fil des réincarnations, les Elohim comptent les points. Si les Adam ont fini par basculer dans l’obscurité, le monde fera pareil. Les années 2000 voient débuter la dernière réincarnation des Adam, alors que le monde se prépare à finir aux mains des Archontes-rois – des Adam ayant basculés dans le mal.
A tout cela s’ajoutent des sociétés secrètes – les 8 – connaissant la vérité, et une cosmologie énormément liée aux signes du zodiaques. Cela se ressent d’ailleurs dans la création de personnage – les joueurs choisissent des ascendants, des descendants, les compétences sont toutes liées à un signe du zodiaque – et dans le système de jeu – basé sur un dé à douze face. L’univers est vraiment intéressant, mais demande des joueurs aimant le roleplay. En effet, tiraillés entre un esprit du bien et un esprit du mal, chaque personnage devient ambigu, et le système prévoit d’une manière excellente comment les personnages peuvent pencher d’un côté ou de l’autre – ce qui doit se ressentir dans l’interprétation. Le soucis, évidemment, c’est que l’ouvrage de base ne fait vraiment qu’effleurer cet univers, et que pour apprécier et plonger dans ce monde, il est vraiment nécessaire que le maître de jeu fasse beaucoup de travail – ou continue la gamme. Cependant, les livres étant bien écrits, aérés, avec de jolies illustrations en noir et blanc, les lire est très agréable. Par contre, en mettant une création de perso – un peu complexe – avant le système de jeu, la première lecture pose beaucoup de questions. Mais il suffit de compulser à nouveau les chapitres concernés pour que tout s’éclaire par la suite.
Trinités se termine par un scénario prenant en compte l’éveil des personnages au statut d’Adam, se voulant un véritable scénario d’introduction, et emmène les personnages en quête d’une de leur vie antérieure. L’histoire réussit à amener dans la cosmologie de Trinités la légende du roi Arthur et Jack l’Eventreur, plongeant immédiatement les joueurs dans des références connues et passionnantes, pour une histoire vraiment superbe, mélangeant enquête et action, qui nécessite certes un peu de travail – mais quel scénario n’en demande pas ?
L’écran, dans la grande tradition des jeux de rôles, est vendu à part avec un fascicule – en l’occurrence, un petit ouvrage s’intéressant aux Archontes-rois, les grands méchants du jeu. Côté joueurs, l’écran, en trois volets, est assez superbe, avec des dessins sombres au style original. Côté maître de jeu, cependant, la moitié des tableaux est vraiment utiles. Aperçu des difficultés, jets de dés, signes du zodiaque et quelques autres choses. Une grande partie des tableaux se concentre cependant sur les combats car les Trinités sont des champions du bien (sans le côté niais, l’Archonte rendant les personnages ambigus) et le jeu prévoit des batailles épiques face aux ennemis de la Lumière (avec, dans les règles, une excellente idée de détailler les spécificités des champs de bataille).
Les Trinités sont des personnages puissants, et il fallait, face à eux, des ennemis d’anthologie, et c’est ce que nous offre le fascicule vendu avec l’écran : les Archontes-rois. Ces créatures sont des Trinités ayant basculés dans les ténèbres et détruits leur Deva, et le livret décrit en fait un groupe de ces ennemis, la Harde. Leur chef, qui se fait appeler le Rat, s’est inspiré de l’astrologie chinoise pour nommer les membres de la Harde selon les signes – Le Cheval, le Dragon, le Cobra et autres. Chaque page décrit un de ces personnages, parlant de ses origines, ses buts et ses manipulations, et les auteurs livrent ainsi des personnages hauts en couleurs, facilement intégrables à toute campagne de Trinités. Bien sur, il faut que le maître de jeu les fasse apparaître par petite touches, pour les rendre aussi mystérieux que dangereux mais, avec les buts et désirs de chacun, il est possible de créer un paysage géopolitique excellent. D’autant que bon nombre agissent dans des milieux divers (l’un contrôle la mafia russe, l’autre agit dans les Triades, un autre manipule certains services secrets) qu’il est facile de glisser, dans un scénario, l’existence de telle ou telle Torve (le nom des membres de la Harde), éminences grises derrière un ennemi ou un allié des joueurs. Et le fascicule se termine même par un mystère plus grand se cachant au Tibet, un danger si puissant qu’elle inquiète le Rat, et qui donne envie de plonger dans les mystères de Trinités pour en découvrir les tenants et aboutissants.
Si, bien sur, il est possible pour un maître de jeu de se contenter du livre de base et d’imaginer tout le reste, Trinités est un jeu de rôle qui se veut suivi, et dont tous les livres de la gamme sont importants. D’ailleurs, il est fréquemment fait référence, dans les textes, à d’autres livres et, si ne pas les avoir lu n’empêche pas la compréhension, il est préférable de posséder et de maîtriser les différents ouvrages. Ainsi, Les 8 s’intéresse à différentes sectes occultes dont les origines remontent à la base de Trinités, des acteurs importants de l’univers occultes, des ennemis, des adversaires ou, qui sait, des alliés, que les joueurs ne manqueront pas de croiser au fil des scénarios. Les Décans plongent dans la magie occulte, la développent, s’intéressent aux signes du zodiaques. Des informations très importantes pour tout maître de jeu et tous joueurs.
Les personnages se sont réincarnés plusieurs fois au fil de leur vie. D’ailleurs, s’ils jouent le scénario de base – ce qui est préférable, tant il est intéressant, et tant les différentes histoires sont inter-connectées – ils ont fait partie des chevaliers de la Table Ronde. Une série de petits fascicules permet à un joueur d’avoir été, dans une vie antérieure, quelqu’un d’important. Il existe ainsi douze petits livrets qui se penchent sur un homme important, comme Musashi ou Sun Wukong. Ce dernier est aussi appelé le Roi des Singes. Le livret permet de découvrir cet homme, dans sa version historique, ainsi que des spécificités propres à l’univers de Trinités. Quelques règles de base sont développées pour pouvoir incarner l’homme, et le livret se termine par un chouette scénario développant, comme toujours, l’univers, et permettant aux personnages de rencontrer des acteurs importants.
Au niveau des ennemis – ou alliés potentiels – des Trinités, il n’y a bien sur pas que les Archontes-rois – décrits avec l’écran – ou les membres des 8 – qui ont leur extension associée. Le Dragon et le Serpent sont détaillés dans un ouvrage portant le nom de cette figure énigmatique mais, dans un registre plus humain, il y a les Services occultes. Plusieurs organisations, services secrets ou sociétés secrètes, sont détaillées dans ce livre. Comment elles sont nées, comment elles fonctionnent, ce qu’elles recherchent et savent du monde occulte. En effet, ces groupes n’ayant que des informations tronquées, passant par le prisme de leurs croyances propres, il leur arrive d’être totalement à côté de la plaque, mais cela ne les empêche pas de faire des expérimentations, parfois dangereuses, puisqu’elles manipulent des forces qu’elles ne comprennent pas. Parmi ces services occultes, la Triade des Neuf Directions manipule en secret les autres triades, que ce soit en Chine, mais aussi dans les autres pays. Les descriptions sont un peu courtes – chaque groupe étant suffisamment complexe pour mériter un ouvrage à lui tout seul – mais fluides et intéressantes, et le livre se termine par cinq scénarios, chacun se penchant sur un des groupe décrit.
Le problème, hélas, qu’on retrouve dans la gamme Trinités, est que les livres et scénarios font fréquemment référence à une extension ou une autre du jeu, et il est parfois difficile de saisir les implications, les personnages, et même certaines parties de la cosmologie générale de ce jeu de rôle, sans posséder toutes les extensions sorties. Ces dernières étant nombreuses, et le jeu ne se suffisant vraiment pas à lui-même, cela implique de grosses dépenses pour le maître de jeu. En effet, la gamme, au lieu de donner l’impression d’une gamme suivie, chaque extension développant un pan du jeu, mais de manière non-indispensable, comme c’est le cas de beaucoup de jeux (7thSea, par exemple, a beau posséder un nombre d’extensions faramineuses, il est tout à fait possible de se contenter des deux livres de règle), le lecteur a l’impression que Trinités est publié comme les épisodes d’une série, comme si un gros livre avait été découpé en chapitres vendus séparément.
Lieux occultes présente une série de lieux célèbres, en plaçant leur construction et leur passé dans l’histoire de Trinités, et, dans le présent, en racontant quels personnages importants y résident, quels complots s’y trament. L’ouvrage donne des noms de site internet pour trouver photos et détails architecturaux mais, encore une fois, le récit est trop succin et demande de posséder les autres livres de la gamme, ce qui se révèle dommage. Le Taj Mahal et le tombeau de Qin sont ainsi décrits, mais demanderont un certain travail du maître de jeu pour plonger ses joueurs dans ces lieux mystiques.
Les auteurs qui se cachent derrière Trinités sont plusieurs. Franck Plasse, d’abord, a imaginé l’univers, et, à la lecture de celui-ci, il n’est pas surprenant de découvrir qu’il a travaillé à la conception de Nephilim Révélation, avant de rejoindre les XII Singes et de se pencher, pour eux, sur Trinités. Claude Guéant, qui s’est occupé du système de jeu, est aussi un passionné de Nephilim, puisqu’il a créé un kit d’initiation pour ce jeu, il faut bien le dire, diablement complexe, avant de rejoindre l’équipe de Trinités.
Au final, ce jeu des XII Singes est un monde intéressant et original, avec un système de jeu surprenant qui, bien que déstabilisant au départ, s’adapte très bien à l’univers. La lecture en est agréable, bien que certaines coquilles subsistent ici ou là. Cependant, il lui manque un petit quelque chose pour être un grand jeu. Par moment, il donne une petite impression manichéenne, malgré des personnages tiraillés entre le bien et le mal. Et, surtout, le format choisi est un peu dommage. En effet, le jeu de rôle actuel (mis à part les nouvelles éditions des grands anciens, bien sûr) opte souvent pour de petits livres, plutôt que d’épais ouvrages comme ce fut le cas auparavant (7th Sea, par exemple, est nanti de deux gros livre, le guide du joueur et le guide du maître). Mais, si cela peut s’adapter à un jeu au système très simple et à un monde facile à appréhender (les Errants d’Ukyio par exemple, se passant dans un Japon médiéval des plus classique), ce format s’applique mal à un univers aussi complexe que Trinités, au système de jeu totalement original, avec de la magie, des sorts et bien d’autre chose. Ainsi, souvent, l’univers donne l’impression de n’être que survolé et, même si les auteurs publient nombre de suppléments gratuits sur le net (une initiative louable), le maître de jeu est obligé d’investir une somme assez conséquente, ainsi qu’un travail de recherche et de développement énorme, chaque ouvrage ne faisant qu’effleurer son sujet (difficile de faire autrement, vu le format). Trinités reste néanmoins un jeu intéressant, qui mérite d’être découvert.
Trinités, disponible aux Editions les XII Singes
[…] Dans sa recherche de jeux de rôles intéressants, parlons aujourd’hui d’une gamme existant depuis quelques temps, nous venant de l’éditeur les XII singes. Petit Focus sur Trinités.Les rôlistes suffisamment anciens peuvent assez clairement noter deux périodes distinctes dans l’existence des jeux de rôles. Il y a longtemps, il était composé d’au moins un gros livre de règle – souvent plusieurs – aux règles complexes. Même si l’univers présenté était intense et favorisait l’ambiance, difficile d’imaginer un ouvrage de moins de trois-cent pages. Donjons et Dragons est bien sur l’exemple le plus connu – trois tomes de règle, plus au moins un livre pour l’univers – mais l’Appel de Cthulhu, la première édition du Seigneur des Anneaux (JRTM) – découlant d’un des système les plus complexe jamais créé, Rolemaster – ou même les ouvrages du Monde des Ténèbres ou 7th Sea, étaient construits de cette manière. […]
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jamais mené sur ce jeu hormis une partie d’initiation, gros potentiel, le format est pratique, les livres sont bien remplis, et en effet, cela ressemble à du Nephilim light, mais du bon light!
Mon problème est celui indiqué dans ce bien bel article; Un suivi dense et bien fourni, ce qui implique d’acheter la gamme complète, en bon geek que nous sommes. Pour ma part, je passe. Cela étant, les XII singes proposent de nombreuses gammes de jeux, certaines sont des one-shot excellents. Pour ce qui est de Trinité, je suis sûr qu’il trouve son public sans problème!
Tout à fait d’accord (et merci pour le compliment !). Je ne critiquais pas les XII singes dans leur ensemble, maison d’édition motivée, et pleine de gammes originales, mais le principe de Trinités m’a un peu dérangé, de part la nécessité de dépenser une somme assez folle pour vraiment appréhender cet univers.
Salut, je suis un des auteurs sur Trinités (depuis le Livre V). Quelques précisions :
– Claude et Franck ont créé l’univers, mais ils sont accompagnés de plusieurs auteurs depuis le Livre II.
– ce n’est pas une « volonté » de découper tout en plusieurs livres, c’est plutôt l’inverse : on se demande quel aspect il serait intéressant d’aborder maintenant, et on en fait un livre. Je regrette le sentiment de « il faut tout acheter pour comprendre », à mon sens ce n’est pas totalement vrai. Il faut surtout acheter dans l’ordre, mais on peut s’arrêter quand on veut. Par exemple les livres 1 à 5 décrivent vraiment la base, le reste c’est du bonus. Les Livres X, XI et XII sont par exemple pour les joueurs qui ont atteint le 3e Décan de leurs voies magiques. Tant que vos joueurs n’y sont pas il n’est pas forcément intéressant de les acheter 😉
Bonjour !
Merci pour ces précisions. Cependant, ne serait-ce qu’acheter les cinq premiers livres représentent un certain budget, soyons honnête. Sans même parler de l’ajout des vies antérieures, intéressantes et ajoutant des petites choses.
De plus, les scénarios se suivent plus ou moins, et, même si certains des ouvrages ne sont pas indispensables, ils sont utiles, développant l’univers, comme par exemple livres occultes ou lieux occultes
Bien sûr, tout est utile, Trinités est effectivement vendu comme un jdr-série 🙂
Mais rien n’est indispensable, à part le Livre I et III. « Reprocher » à Trinités d’avoir beaucoup de suppléments, c’est comme reprocher à Nephilim d’en avoir beaucoup. Pour un jeu à secrets, avec beaucoup de scénarios et de background, c’est à mon avis indispensable d’avoir beaucoup de suppléments.
Je ne suis pas objectif dans cette discussion, mais avant d’entrer dans l’équipe de Trinités, j’aimais déjà beaucoup ce principe d’avoir des livres qui construisent petit à petit l’univers, chacun dépendant des précédents mais sans pour autant être indispensable.
[…] Dans sa recherche de jeux de rôles intéressants, parlons aujourd’hui d’une gamme existant depuis quelques temps, nous venant de l’éditeur les XII singes. Petit Focus sur Trinités. […]